Interview de la psychologue en périnatalité Aurélia Barras

Quels facteurs peuvent augmenter le risque de développer une dépression post-partum (DPP)?
Il y a plusieurs facteurs de risque, certains personnels et d’autres environnementaux. Cependant, une des spécificités de la DPP c’est qu’elle peut également se développer sans la présence de facteurs de risque. D’autre part, on peut tout à fait être concerné·e par plusieurs de ces éléments sans pour autant développer une DPP. Les éléments qui vont suivre sont donc des facteurs de risque potentiels, à prendre avec précaution (il ne s’agit pas d’une liste exhaustive). Il y a le fait d’avoir déjà traversé un trouble psychologique (par exemple une dépression, d’autant plus si elle a eu lieu durant la grossesse, ou des troubles anxieux) ou des traumatismes (vivre un accouchement traumatique en fait partie). Il y a également tout ce qui a été vécu difficilement autour de la périnatalité, comme le parcours de conception, des antécédents de deuil périnatal, d’interruption·s spontanée·s de grossesse ou d’avortement·s, des complications durant la grossesse et/ou l’accouchement et un vécu difficile de l’accouchement. L’état de santé du bébé est un facteur de risque également. Les événements de vie stressants, des tensions au sein du couple, le manque de soutien et la solitude perçue, le manque d’information ainsi qu’un niveau socioéconomique bas font également partie des facteurs de risque. Un autre facteur souvent méconnu est que si l’un des parents fait une DPP, l’autre parent est à risque de développer une DPP également. Enfin, et contrairement à une idée reçue, il n’y a pas plus de risque pour une première grossesse !
Y a-t-il des facteurs spécifiques en Suisse qui influencent cette problématique ?
Pas à ma connaissance, hormis peut-être le contexte socio-culturel dans lequel nous sommes, mais qui concerne plus largement la société occidentale. Je pense notamment au fait que la périnatalité ait peu de place dans notre société, il y a des progrès mais les ressources sont peu mises en avant et sont encore en plein développement. Je pense également au fait qu’il y ait beaucoup de pression (y compris implicite) mises sur les parents, avec encore de nombreux tabous, qui n’encouragent pas vraiment les parents à oser dire quand ça ne va pas et à aller chercher de l’aide. Ce contexte renforce le fait de se renfermer sur soi, la honte et la culpabilité ressentie. Je ne suis pas sûre que cela soit considéré comme un facteur de risque à proprement parler, mais à mes yeux en tout cas ça n’est pas aidant. Travailler à sensibiliser et lutter contre les mythes et tabous associés à la périnatalité fait d’ailleurs partie de ce qui m’anime parce que je suis convaincue qu’agir à ce niveau-là permettrait de prévenir les difficultés de santé mentale périnatale et d’établir un terrain davantage propice à une prise en charge adaptée.
Est-ce qu'il existe des idées reçues concernant la dépression post-partum que vous aimeriez démystifier ?
La DPP étant encore relativement méconnue, je pense qu’il y aurait encore beaucoup d’idées reçues associées à déconstruire. Ce qui me vient en tête, c’est la banalisation de la souffrance des parents, avec l’idée véhiculée que c’est normal d’être en difficulté et en souffrance avec l’arrivée d’un enfant. Parfois des commentaires viennent s’ajouter, de type « mais tu l’as voulu ce bébé », ce qui ne fait que renforcer le mal-être et la sensation d’incompétence. Le mal-être est réel, ce n’est pas de la faute des parents et ne fait d’eux en aucun cas de moins bons parents. La banalisation des symptômes conduit à des lacunes de diagnostics. Alors effectivement, la transition à la parentalité n’est pas de tout repos et rares sont les parents qui ne traversent aucune difficulté, mais tout est question de fréquence et d’intensité. En cas de doute, l’EPDS (questionnaire de dépistage que l’on peut faire soi-même) disponible sur le site de l’Association Dépression Postpartale Suisse aide à se situer. Une autre idée reçue est que les parents doivent ou peuvent s’en sortir seuls, avec parfois la volonté de se prouver qu’ils sont capables et ainsi de bons parents. De manière générale, si les parents sentent que quelque chose ne va pas et qu’il y a un mal-être, en parler et aller chercher du soutien est toujours encouragé. La DPP est un trouble psychologique avéré et cela nécessite un soutien. Il ne s’agit pas d’un manque de volonté et encore une fois, cela ne fait pas de ces parents de mauvais parents. Dans notre société, les difficultés physiques sont beaucoup plus légitimées, mais prendre soin de sa santé mentale en tant que parent est tout autant important et c’est aussi une manière de prendre soin du bébé.
Quels sont les effets de la dépression post-partum sur le bébé et la relation parent-enfant ?
C’est une question délicate parce que d’une part, c’est souvent une grande peur chez les parents qui sont souvent déjà concernés par une culpabilité importante et d’autre part, la DPP peut être vécue de manière très différente selon les personnes. La DPP peut effectivement avoir des conséquences à la fois sur l’interaction parent-enfant, mais également sur le développement de l’enfant et sur le couple, c’est pour cela qu’il y a de plus en plus de prévention sur ce sujet. Quand la DPP est identifiée et prise en charge, les risques sont toutefois limités. En allant se faire aider, on prend donc à la fois soin de soi, mais également de son bébé et de la famille dans son ensemble, en soignant les liens envers chacun·e. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est également que l’enfant a souvent deux parents, ou d’autres personnes qui lui sont proches, qui peuvent prendre le relai et compenser. La responsabilité de l’apport attentionnel et émotionnel du bébé ne repose donc pas uniquement sur le parent atteint de DPP ! Concernant la relation parent-enfant, il arrive de rencontrer des difficultés à entrer en lien, mais ce n’est pas toujours le cas. Souvent, il y a beaucoup d’incompréhension, de culpabilité et de peur d’être jugé·e par autrui face à cette sensation, qui concerne plus de parents qu’on pourrait le penser. Il existe des aides, par exemple l’équipe Papillon du CHUV et la Guidance infantile des HUG, qui soutiennent les parents qui ont des difficultés relationnelles ou d’attachement.
Quelles sont les options de traitement pour la dépression post-partum ? Y a-t-il des approches spécifiques que vous recommandez ?
Il y a évidemment les accompagnements par des psychologues ou des psychiatres. Parfois une médication est indiquée, mais ce n’est vraiment pas toujours le cas (et certains médicaments sont compatibles avec la grossesse et l’allaitement). Si une médication est prise, elle sera toujours plus efficace jointe à une thérapie. Aller voir un psychologue ou un psychiatre peut faire peur, même s’il y a eu de grands progrès en termes de déstigmatisation ces dernières années, c’est encore tabou. Ce que je tiens à dire c’est que c’est humain de rencontrer des difficultés de santé mentale à un moment ou l’autre de sa vie, et que c’est ok d’aller chercher de l’aide. La santé mentale est tout autant importante que la santé physique. J’encourage d’ailleurs la consultation précoce et préventive, parce que je suis persuadée que plus les difficultés sont prises en charge tôt, plus elles sont malléables et faciles à travailler. La période périnatale est d’ailleurs propice pour faire ce travail, en raison des mécanismes psychiques en jeux durant cette période (pour celles et ceux que ça intéresse, je vous encourage à vous renseigner sur la transparence psychique). Ce qui me paraît essentiel c’est de ne pas rester seul·e et de choisir une personne de confiance à qui en parler, en prenant la porte d’entrée qui met le plus à l’aise. Cela peut-être d’en parler à sa sage-femme ou à sa doula, à l’infirmière petite enfance, au gynécologue, au pédiatre ou à son médecin généraliste par exemple. Cette personne pourra vous renseigner et si besoin vous rediriger.
Quel rôle joue le partenaire dans le processus de guérison d'une mère atteinte de dépression post-partum ? Comment peut-il la soutenir de manière efficace ?
C’est un rôle qui n’est pas évident ! Le soutien des partenaires est un facteur protecteur, de même que le soutien de personnes proches de confiance (ami·e·s, famille). Ce qui est aidant c’est à la fois le soutien émotionnel et le soutien davantage concret ou logistique, tel que de s’occuper de l’enfant ou de la gestion domestique. Ce rôle n’est pas évident parce qu’il arrive que des sensations de décalage se créent entre les deux membres du couple, en raison d’une incompréhension de ce que la mère traverse, d’autant plus quand la DPP n’a pas été diagnostiquée et expliquée aux parents, ce qui peut créer une communication plus difficile. Dans ces cas-là, il ne faut pas hésiter à mettre des mots sur ce qu’il se passe et à se faire aider si besoin. D’autre part, ce rôle n’est pas évident parce que le co-parent lui aussi traverse de nombreux chamboulements en (re)devenant parent. En voyant leur compagne aller mal, de nombreux partenaires se sentent très démunis. De plus, souvent les co-parents adoptent une posture de proche aidant et portent beaucoup, et n’ont pas toujours beaucoup d’espace qui leur est offert pour prendre soin d’eux également. C’est un rôle d’équilibriste !
En Suisse, quels types de ressources sont disponibles pour les mères qui souffrent de dépression post-partum (groupes de soutien, consultations spécialisées, etc.) ?
En plus d’un suivi individuel, il y a différentes ressources, notamment associatives qui ont comme objectif commun de briser l’isolement souvent ressenti en périnatalité et d’apporter du soutien. Il y a évidemment l’association Dépression Postpartale Suisse, qui propose de nombreuses ressources dont un marrainage avec des parents qui ont traversé une DPP, qui se rendent disponibles pour échanger (par téléphone, par écrit ou à travers des visites à domicile, selon la convenance du parent atteint de DPP). Il y a également l’association Supermaman qui propose un soutien ponctuel en mettant en lien des parents ayant besoin de soutien avec des parents bénévoles qui amènent un repas et proposent un moment d’échange. Il existe également des aides maternelles qui proposent elles aussi un soutien qui peut être moral et/ou logistique sur différents aspects (ménage, administratif, pet-sitting, suppléance parentale, etc.). Pour rencontrer d’autres parents et se sentir soutenu·e dans ses fonctions parentales, il y a les maisons vertes ou l’association MAM. Et puis, il y a les groupes de parole (parfois aussi appelés cafés-rencontres), qui sont des espaces de soutien par les pairs, avec la médiation de professionnel·le·s. Cette liste de ressources n’est pas exhaustive, il en existe certainement encore d’autres !
D'ailleurs, qu’est-ce qu’un groupe de parole et qu’est-ce que ça apporte ?
Ces rencontres sont pensées comme des lieux pour rencontrer et échanger avec d’autres parents traversant des difficultés. Certains groupes de paroles sont spécifiques à une thématique et d’autres sont davantage ouverts. J’en co-anime régulièrement à Morges avec une collègue sage-femme, pour tout ce qui concerne la périnatalité, ainsi que ponctuellement pour l’association, centrés sur le post-partum. Il ne s’agit pas de thérapie mais de lieux de partage, de rassemblement et d’écoute, qui permettent de déposer son vécu et souvent de faire émerger des pistes d’entraide. En périnatalité, souvent les personnes sont hésitantes à venir, les un·e·s ne se sentant pas légitimes estimant aller trop bien pour venir, et les autres se sentant mal à l’aise de se montrer si vulnérable à travers leurs difficultés. Ce qu’il me paraît important de dire, c’est que la parentalité étant accompagnée par son lot de difficultés et de questionnements, ne pas rester seul·e avec ça est bien souvent aidant. Ces rencontres partant toujours des personnes présentes, chaque vécu est précieux et est le bienvenu. Généralement les participant·e·s repartent allégé·e·s.
Quelles stratégies de prévention recommandez-vous pour aider les femmes à mieux gérer les défis de la maternité et à prévenir la dépression post-partum ?
Trois mots me viennent : l’information, la préparation et l’entourage. S’informer c’est se donner des outils et des clés de lecture. Cela permet de mieux comprendre ce qu’il se passe et de mieux identifier les signes d’une éventuelle DPP chez soi-même ou son·sa partenaire. S’informer des ressources existantes en amont me paraît également être une belle stratégie. Il n’est jamais trop tard pour le faire mais quand on est en difficulté, il peut être difficile d’aller chercher ce qui existe et de faire des démarches à ce moment-là. La préparation est également importante. J’encourage notamment tout parent à aller aux cours de préparation à la naissance et à y aller en couple. Il y a également toute une série de préparation logistique qui peut se faire en amont pour simplifier le quotidien des premiers temps (préparer des repas en avance et les congeler par exemple ou proposer à ses proches d’amener des repas, de faire une lessive ou de venir faire une ou deux heures de ménage plutôt que d’offrir un cadeau pour le bébé à la naissance), les sages-femmes et les doulas sont souvent de très bon conseil sur ces aspects-là. Concernant l’entourage, une idée serait de réfléchir à ses propres ressources : en cas de difficultés, sur qui peut-on compter ? Cela peut être des proches de confiance et/ou des professionnel·le·s. Et si la liste semble courte, réfléchir à ce qu’il manquerait et comment pallier à cela. De manière générale, je pense que le fait d’être informé·e en amont permet de mieux pouvoir rebondir et faire face le moment venu, si la situation devait se présenter.
Comment la société pourrait-elle mieux soutenir les femmes enceintes et les jeunes mères afin de réduire le tabou autour de la dépression post-partum ?
La DPP étant un problème de santé publique, l’idéal serait d’agir sur plusieurs plans. Il y a évidemment la communication à ce sujet, d’une part pour les parents (par exemple à travers les cours de préparation à la naissance), mais également pour l’entourage et les professionnel·le·s. Par exemple, l’exposition « Bébé en tête » qui a eu lieu à Lausanne et Genève a grandement contribué à ce but-là, en vulgarisant des informations scientifiques et en rassemblant les professionnel·le·s autour des différents événements organisés. Au niveau politique, augmenter le congé paternité (et plus généralement le congé parental) serait également un très bon moyen de soutenir les parents. En référence à mes propos sur l'importance du soutien des partenaires, cela permettrait à la fois aux pères de prendre leur place et se familiariser avec ce nouveau rôle (les 10 jours actuels sont certes bien mieux que les 2 jours qu’il y avait auparavant, mais n’offrent toujours qu’un espace extrêmement limité), mais également de permettre aux mères de se sentir soutenues plus longtemps, étant bien souvent encore elles-mêmes en convalescence lors de la fin du congé paternité de leur partenaire. Toujours au niveau politique, développer davantage de structures pour accueillir les mères et leur bébé, car s’il en existe, les places sont trop peu nombreuses. Sur un autre plan, la recherche ainsi que la formation des professionnel·le·s méritent d’être davantage encouragées. Travailler sur ces différents niveaux contribuerait à la fois à être mieux informé·e et ainsi mieux identifier les signes, mais également probablement à un changement des représentations de la parentalité en rendant la DPP moins taboue, car c’est un des problèmes actuellement : encore trop de DPP ne sont pas détectées, beaucoup de parents n’osent pas en parler et chercher du soutien en raison de sentiments de honte souvent très forts.